Les enjeux de l’alimentation en Europe
Olivier De Schutter, à l’époque Rapporteur spécial pour le Droit à l’Alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’ONU, est intervenu (vidéo) dans le colloque "Vers une politique concertée de l’alimentation en Belgique : Quels enjeux, quelles priorités ?" organisé par Solidaris – Mutualité Socialiste. Il y démonte le système alimentaire mondial actuel et décrit l’impasse sanitaire, environnementale, sociale et économique de la politique de l’alimentation "low cost".
Il pointe également l’émergence de multiples initiatives nouvelles de production, de distribution et de consommation qui dessinent un modèle alimentaire alternatif plus sain, durable et équitable. La relocalisation de la production, le développement de circuits courts et l’organisation collective des consommateurs-citoyens en constituent des piliers majeurs.
Alimentation "low cost" développée au lieu de véritables politiques sociales
Extrait de l’intervention d’Olivier De Schutter :
« Nous avons trop longtemps fait reposer l’économie agroalimentaire sur une "philosophie du low cost" ! Au lieu de protéger les personnes vulnérables, les ménages les plus pauvres, par des politiques sociales robustes, redistributives, dignes de ce nom, on garantit l’accès à une alimentation à un prix abordable en écoulant des produits à bas prix sur les marchés …
… quitte à ce que ceux-ci mettent hors-jeu les petits producteurs pas suffisamment compétitifs ; … quitte à ce que ceux-ci conduisent à payer aux fermiers des sommes dérisoires pour le lait, la volaille, les céréales qu’ils produisent ; … quitte à ce que ceux-ci conduisent à une concentration de plus en plus forte entre les mains d’un petit nombre d’entreprises aux différents secteurs de la transformation et de la distribution alimentaire.
Cette économie low cost a été jusqu’à présent substituée à des politiques sociales et ma conviction c’est que l’on est à la fin d’un modèle et que l’on ne peut plus aujourd’hui prétendre postposer des politiques sociales plus généreuses, plus protectrices des ménages les plus pauvres simplement par le maintien de ce système agroalimentaire low cost.
Autrement dit par un écrasement des prix qui est une source sans doute d’accès à l’alimentation abordable pour les ménages les plus pauvres, mais à un prix exorbitant notamment pour la qualité de l’alimentation dont ils dépendent.
Car enfin cette alimentation low cost qui nous est donnée aujourd’hui en solution est une alimentation dont on mesure de plus en plus les effets négatifs pour la santé des personnes qui en dépendent. Ce n’est pas par hasard que le surpoids et l’obésité frappent notamment les populations les plus pauvres dans les pays riches, qui n’ont pas au fond la possibilité d’acheter des aliments de qualité et qui n’ont pas surtout le loisir de cuisiner pour le repas familial en raison du mode de vie qui leur est imposé.
Et donc je crois vraiment qu’il faut arrêter de se focaliser sur cette économie low cost comme une solution et passer à autre chose. Cela ne va pas aller de soi, il faudra des années pour cela, parce que dans l’immédiat, évidemment, des prix bas, c’est important parce que les ménages n’ont pas les moyens d’acheter une nourriture à un prix plus élevé, mais à terme ce qui compte, c’est des politiques sociales qui permettent à chacun de s’alimenter dignement. C’est vraiment ce message-là que je voulais faire passer, cette transition-là sur laquelle je voulais insister. »
Renforcer les liens directs entre producteurs et consommateurs
Pour Olivier De Schutter, la méfiance des consommateurs vis-à-vis des grands acteurs de l’agroalimentaire mise en lumière par le thermomètre Solidaris : "Comment percevons-nous l’offre de produits alimentaires ?" est liée à l’allongement et à l’opacité des filières alimentaires sur lesquels ils n’ont aucune prise.
"L’alimentation est un lieu dans lequel la démocratie doit se redéployer". Les circuits courts sont intéressants pour mieux comprendre ce que contient le produit et qui le fait et ainsi restaurer la confiance (même dans le bio).
Obstacles à la transition vers un système plus sain, durable et équitable
Pour l’ex Rapporteur spécial pour le Droit à l’Alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’ONU, les verrous empêchant le passage à un nouveau système alimentaire sont de quatre ordres :
- Grandes infrastructures pensées et développées par et pour les grands acteurs de l’agroalimentaire (stockage, transformation, transport) qui renforcent leur position dominante
- Compétitivité des grands groupes agroalimentaires (infrastructures, économies d’échelle, poids dans les négociations) impossible à concurrencer par des acteurs plus modestes
- Modes de vie (manque de temps) pour lesquels l’alimentation fortement transformée est une solution facile
- Puissance économique et politique des grands acteurs de l’agroalimentaire qui font blocage
Rôle des pouvoirs publics
Pour Monsieur De Schutter, il ne faut pas attendre de l’Etat qu’il fasse les choses, il faut utiliser toutes les opportunités pour faire connaître nos exigences aux décideurs et au secteur privé.
A côté de ses rôles de régulateur et de redistributeur, l’Etat doit développer son rôle de facilitateur en soutenant structurellement les initiatives innovantes, notamment en modifiant les réglementations qui font obstacle aux circuits courts.
Exemples d’initiatives à soutenir : meilleure qualité de l’alimentation en collectivités, groupements d’achats, circuits courts, villes en transition, agro-écologie,…